
JetPunk, théorie géographique - Villes par images
Publié le 9 mars 2025
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Si vous êtes un régulier de la section Quiz récents, vous n'avez sans doute pas rater une effervescence de quiz en images qui portent sur les villes d'un département, région ou pays en particulier. Le concept n'a rien de bien compliqué, le but est simplement de reconnaître la ville derrière chaque photo. Pourtant ce genre de quiz n'est pas si simple à concevoir s'il on ne veut pas voir des statistiques abyssales.
Pour mieux comprendre quelles images fonctionnent et lesquelles ne fonctionnent pas, je vous propose de faire dialoguer des quiz JetPunk et la théorie géographique dans ce premier opus d'une potentielle série de blog...
Villes et images, deux mots qui vont ensemble

Les cartes postales ne sont peut-être plus tant à la mode, les manières de communiquer sur les destinations n'ont pas disparues, bien au contraire. Internet et les réseaux sociaux en sont devenus d'incroyables moteurs. Instagram alimente et reproduit des imaginaires de lieux, au grand bonheur des acteurs du tourisme qui installent des "spots instagrammables" et au dam des collectivités qui doivent gérer le sur-tourisme. Nous pouvons encore parler de l'influence d'autres média, qui participent depuis longtemps à l'image d'une ville à large échelle, que ce soit Paris dans Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain ou les fans d'Harry Potter à Édimbourg. Plus qu'une image, les représentations d'un lieu créent un imaginaire géographique.
Jouer sur son image est donc primordial pour les villes qui souhaitent se distinguer de leurs concurrentes pour attirer des flux de capitaux et de personnes. Certaines villes, de par leur importance mondiale, ont la tâche qui paraît plus simple car une influence, un soft-power, immense. Vous avez sans doute une image dans votre tête quand je vous parle de Berlin, mais pas forcément pour Ingolstadt. Alors quelles villes choisir ?
Quelles villes choisir ?
Imaginons maintenant que l'on est en train de créer un quiz Villes par images. Par exemple, villes d'Allemagne par images pour revenir à l'illustration précédente. Y insérer Berlin semble une évidence, la ville est connue de la majorité des JetPunkers et l'image de la Porte de Brandebourg dans la tête de beaucoup. Mais ensuite, quelle méthode suivre ? Faut-il suivre le classement des villes les plus peuplées ?
La réponse n'est pas forcément non, comme discuté avant, il y a des chances qu'une ville plus peuplée jouisse de plus d'influence pour montrer son image dans les media. Mais plus qu'un "capital population", c'est le capital symbolique qu'il faudrait considérer. Comprenez par là tout ce qui participe à renforcer l'attractivité et l'influence d'une ville, de l’image, au prestige et aux valeurs culturelles et historiques. Mais en plus de ce capital symbolique, nous avons besoin pour ce quiz d'une ville dont la symbolique est particulièrement visuelle : une imagibilité forte. Ce terme est proposé par l'urbaniste américain Kevin Lynch.
Imagibilité (Lynch, 1960)"La capacité d’un lieu à marquer les esprits, c’est-à-dire à être mémorable grâce à ses caractéristiques visuelles et symboliques fortes."
Pour illustrer tout cela prenons un exemple de quiz : Villes européennes par image n°1.

Cela dit, une image de la même rue, sans les festivités mais avec un accent sur le patrimoine bâti n'aurait sans doute pas donné les mêmes statistiques. Le choix de ce qui est représenté sur l'image est aussi crucial.

Quelles images choisir ?
On choisit les villes qui existent le plus dans la tête, dans l'imaginaire des joueurs. Mais ces imaginaires ressemblent à quoi ? C'est la question qui vient au moment de choisir les images qui feront guise d'indices. Car tout n'est pas marquant ni mémorable dans une ville.
La carcasse de la ville
La plupart des quiz sur les villes en images choisissent le patrimoine bâti, un bâtiment, un type d'architecture pour faire deviner la cité en question. C'est un choix on ne peut plus sensé, car c'est ce que la plupart des gens dessineront s'ils doivent mettre sur papier "une ville". L'architecture structure une identité, c'est indéniable. Elle permet aussi à la ville de faire grossir son capital symbolique et donne des arguments touristiques comme nous l'avons vu tout à l'heure. Cela fait encore plus sens quand certains bâtiments servent vraiment de "monuments", d'emblèmes pour une ville. Londres n'a pas meilleur ambassadeur que Big Ben, Pise n'aurait pas pu espérer meilleur emblème que sa tour penchée. Regardez donc les statistiques de Villes européennes par images n°2...

Mais une ville aussi dense soit-elle ne peut sans doute pas être définie comme telle si personne n'y vit. Le géographe Michel Lussault nous propose de considérer la ville plutôt comme une fabrique, une pratique spatiale et sociale. Pour lui, la ville ne se limite jamais à ses infrastructures ; elle est façonnée par les usages, les récits et les expériences des habitants.
L'exemple de Pampelune peut aussi se comprendre comme cela. L'architecture de la ville et ses rues étroites ne sont qu'une scène ou une toile sur laquelle des pratiques et des histoires comme celles des fêtes taurines vont fixer l'image de la ville. Il serait donc plus que bon de ne pas avoir peur de sortir des représentations figées dans la pierre pour illustrer une ville. La ville vit.
Les représentations, ni réelles, ni figées
Le choix de représenter la ville par son architecture est peut-être aussi motivée par la volonté de s'accrocher au "réel", ce qu'est physiquement la ville. Mais cette image figée d'une certaine architecture n'est pas moins une représentation comme une autre, n'est pas plus réelle qu'une pratique, et est autant imaginée qu'un tableau ou un livre.
Parfois se poser la question à soi-même pendant la création d'un quiz peut être révélatrice : Pour quoi est-ce que je connais telle ville ? La réponse n'est sans doute pas tout le temps un monument ou une architecture. Vous penserez peut-être à un festival, un film, un statut, un événement historique... Tout cela façonne autant, voire plus, la ville et l'imaginaire qu'on en a ; pourquoi ne pas la représenter ainsi ? Si vous l'imaginez, alors d'autres personnes probablement aussi, et ces références façonnent l'image globale de la ville.
Prenons l'exemple de Munich, qui apparaît dans le quiz Villes européennes par image n°1. Qu'est-ce que vous imaginez d'abord à la lecture de ce toponyme ? La Bavière ? La bière ? Le Bayern Munich ? Ou la cathédrale Notre-Dame ? Toutes les réponses seraient valables et devinables, certaines peut-être par plus de monde que d'autres.


Notes sur le stéréotype
Avant de conclure ce blog, il faut parler d'un obstacle qui pourrait aussi restreindre le choix des images pour les JetPunkers : la crainte de tomber dans le stéréotype. C'est une crainte légitime, on ne veut pas résumer une ville à une image un peu réductrice. Munich ne se résume pas à boire de la bière et Pampelune ne se résume pas à se faire courser par un toro. L'architecture peut alors faire à nouveau preuve d'une alternative plus "neutre". Ne représenter que les villes par leur bâti, c'est suivre une méthode récurrente et équitable (quand bien même d'autres questions se posent sur "quelles parties de la ville représenter ?").
La question se pose d'autant plus que si l'imaginaire d'un lieu est une construction, votre quiz participera à le construire et le reconstruire. Les effets se trouvent dans les têtes mais aussi les pratiques et aménagements après coup (p. ex les spots instagrammables et globalement les réponses des villes pour répondre aux attentes des touristes).
Bien sûr, publier votre quiz n'est pas larguer une bombe. Mais il convient tout de même de réfléchir à la question des images que vous avez choisies de temps en temps. Il est inévitable de généraliser l'image d'une ville quand on en sélectionne qu'une photographie. Tâchons seulement que celle-ci ne soit pas dommageable pour la population qui y vit.

Conclusion
Ce billet de blog vous invite à vous questionner la prochaine fois que vous jouerez ou créerez un quiz du type Villes par images. Il n'est pas toujours évident de rendre ces quiz accessibles car les villes, dans le sens physique et architectural du terme n'est pas toujours connu de tous. Suivre la piste d'autres représentations de la ville peuvent alors permettre de parler à plus de monde, sans pour autant être moins "réelles" que les photos d'un monument. L'image que l'on se fait d'un lieu est en réalité une construction sociale, ces représentations qui sont plus qu'une "carcasse urbaine" en sont les outils.
Cet article ne souhaite pas non plus prôner une manière de créer ce genre de quiz plutôt qu'une autre. La variété des approches ont toutes leur charme, et retrouver les villes seulement par une image du centre-ville peut avoir son intérêt. Ce blog n'offre pas non plus une solution miracle pour faire en sorte que les scores moyens soient soudainement bons. Ces réflexions peuvent parfois être difficile à mettre en pratique, en particulier pour les régions du monde dont on a peu d'imaginaires urbains. Il reste cependant intéressant dans tous les cas de se poser quelques questions, dont celles qui sont esquissée ici.
J'espère donc qu'à l'avenir vous aurez envie de vous (ré)essayer à la création de ce genre de quiz, et que vous pourrez le faire avec quelques idées en plus dans la tête. Si vous avez des questionnements ou des arguments en plus à poser n'hésitez pas à prendre possession de la section commentaire !
Quelques ouvrages de base pour aller plus loin:
Lussault, Michel. L’Homme spatial : La construction sociale de l’espace. Seuil, 2007.
→ Un ouvrage clé pour comprendre comment les individus et les sociétés produisent l’espace à travers leurs pratiques, leurs représentations et leurs interactions.
Lynch, Kevin. L’Image de la cité. Dunod, 1960.
→ Une référence majeure sur la façon dont les habitants perçoivent et structurent mentalement les villes, avec les concepts d’imagibilité et de lisibilité urbaine.
Tuan, Yi-Fu. Espace et lieu : la perspective de l’expérience. Payot, 1977.
→ Un regard phénoménologique sur la relation entre l’espace et l’expérience humaine, expliquant comment les lieux acquièrent une signification émotionnelle et symbolique.
Gravari-Barbas, Maria. "Tourisme, patrimoine et urbanité : La mise en tourisme des lieux urbains comme fabrique de la ville." Via Tourism Review, 2013. En ligne
→ Un article qui explore comment la mise en tourisme transforme les villes, en ajustant leurs espaces pour répondre aux attentes des visiteurs et aux imaginaires qu’ils projettent.

Une autre dimension de ce même sujet à laquelle je me trouve souvent confronté est ma proximité vis-à-vis de l'aire géographique traitée. Il y a en effet des zones que je connais de vécu, d'autres pour m'y être intéressé sans forcément avoir eu la chance se les visiter et encore d'autres encore pour lesquelles ma connaissance est plus que lacunaire. Pour cette dernière, je m'abstiens généralement de toute publication. C'est plus entre les deux premières catégories que le doute émerge.
Pour la première, je connais presque trop bien pour faire deviner efficacement et me sens une envie de faire découvrir plus que reconnaître qui peut significativement affecter l'accessibilité du quiz.
Pour la deuxième, j'ai du mal à m'extirper du cliché, faisant que si le quiz reste généralement accessible, il saute en revanche à pieds joints dans le piège du stéréotype.
JetPunk a pour moi une vertu super intéressante dans la façon dont je le conçois : celui de faire découvrir et apprendre des choses que l'on ne connaît pas.
Pouvoir me dire "Ah c'est donc à ça que ressemble Munich, je ne savais même pas qu'il y avait des montagnes !" me fait plaisir, me permet aussi d'ancrer la ville dans quelque chose d'autre que l'unique angle sous laquelle je la connais (bière foot).
Le but pour moi n'est pas de flatter l'ego de celui qui prend le quizz en lui permettant de se dire "je suis trop fort je les connais tous" et le fait que des gens ne trouvent pas la réponse (jusqu'à un certain point bien sûr) ne me semble pas être un si gros problème :)
Anyway merci beaucoup pour ce moment de réflexion !
Initialement je voulais ajouter un paragraphe sur les raisons qui nous poussent à faire des quiz. Celles-ci dépendent de chacun et chacune, faire découvrir et mettre à l'épreuve sont sans doute les deux atouts principaux de JetPunk.
Maintenant, dans mon cas je trouve primordial de trouver un juste milieu entre les deux. JetPunk peut être un fantastique réservoir de connaissances et de découvertes, mais pour que celles-ci atteignent la majorité des joueurs de quiz, il va falloir déjà qu'ils cliquent sur lancer le quiz. Ainsi, commencer le quiz avec des images qui sauront satisfaire l'envie de se lancer semble en tout cas assez important. Je parle ici pour moi mais je suis convaincu que c'est une expérience partagée, je n'oserais pas me lancer sur une piste où aucune image ne me parle, même si je serais ravi d'en apprendre plus.
Dans certains cas, ce serait sans doute le contraire qui serait plus intéressant pour faire découvrir un lieu: prendre une image non pas du bâti mais d'un autre élément qui pousserait à fouiller dans la culture générale et transmettrait de jolies anecdotes.
A nouveau, il y a sans doute une réflexion pour le créateur ou la créatrice du quiz à se faire, sur ce qu'il/elle connaît et sur les connaissances préalables attendues du public. A partir de là, cela permet certainement d'ajuster la portée du quiz dans un sens ou un autre!